Par Anne-Marie Boucher, co-coordonnatrice du RRASMQ et porte-parole du Mouvement Jeunes et santé mentale
Fondé en 2016 et issu d’une large consultation citoyenne, le Mouvement Jeunes et santé mentale vise à lutter contre la médicalisation des problèmes psychosociaux vécus par les jeunes québécois et québécoises, y compris les difficultés scolaires. Interpellé pour participer à la Journée du Refus de l’Échec Scolaire, nous y joignons notre voix avec intérêt, parce que l’enjeu de l’échec scolaire rejoint de très près ceux liés à la santé mentale des jeunes concernés.
Avant d’aller plus loin, il faut définir la médicalisation : soit la tendance à traiter de manière médicale, en diagnostiquant par exemple, un enjeu qui ne l’est pas à priori. La médicalisation a comme effet de faire porter sur les épaules des individus des situations qui relèvent davantage des dynamiques institutionnelles ou sociales, et camoufle ces inégalités de traitement. Elle débouche sur du surdiagnostic et une médicamentation souvent inadaptée.
La médicalisation des difficultés vécues par les enfants, notamment en ce qui a trait à l’explosion de diagnostics de TDAH, découle de la lecture des normes sociales et des attentes de la part des adultes qui les entourent, et qui mesurent la distance entre les comportements de l’enfant et cette norme attendue. La médicalisation est bien sûr magnifiée par l’échec ou l’absence de système de soutien aux enfants et aux familles.
« Tu reçois le message que t’es pas normal. Tu ne rentres pas dans les normes de la société. [1]»
Les jeunes à risque d’être diagnostiqués ou surmédicamentés ont un profil qui rejoint celui des jeunes à risque d’échec ou de décrochage scolaire. Ils subissent de plein fouet les impacts d’une société inégalitaires et de décennies d’austérité dans les services publics. Ils souffrent du manque d’accès aux services psychosociaux ou à l’accompagnement. Ils peinent parfois à se défaire d’une étiquette négative qui leur est accolée, et qui parfois même les mènent à s’autostigmatiser ou à réduire leurs aspirations face au futur.
«L’école a forcé mes parents et leur a dit que si je n’étais pas diagnostiqué, elle refusait de me reprendre. [2]»
Au Mouvement Jeunes et santé mentale, les témoignages que nous avons recueillis nous indiquent que les jeunes reçoivent souvent un ou plusieurs diagnostics sans recevoir toute l’information à leur sujet. Ils se font prescrire des médicaments dont, parfois, les effets secondaires surpassent les effets bénéfiques attendus. Ils aspirent à des formes d’aide alternatives et n’y ont pas toujours accès. Les jeunes les plus marginalisés se sentent laissés pour compte, oubliés dans une voie de garage dans laquelle ils n’ont pas la même chance que les autres. N’en est-il pas de même pour les jeunes qui décrochent, et qui se préparent du même coup à rejoindre les rangs des travailleurs précaires ?
Plusieurs questions se posent : comment mieux intervenir et accompagner les élèves qui expriment des difficultés d’ordre scolaires ou psychosociales? Comment les aider sans les étiqueter? Comment favoriser des lieux inclusifs et égalitaires dans lesquelles les élèves, peu importe le milieu duquel ils proviennent, peuvent s’épanouir et avoir accès à la réussite?
Nous croyons qu’une première étape serait d’entendre les jeunes eux-mêmes, ceux qui sont au premier titre concernés par cette situation. Nous proposons depuis 2016 la tenue d’une commission parlementaire qui se pencherait sur l’enjeu de la médicalisation des difficultés vécues par les jeunes, et nous pensons qu’une telle commission doit impérativement aborder le rôle de l’école sur cette médicalisation. Ce débat public ne pourra se faire sans la participation active des jeunes, qui en auront long à dire.
[1] Témoignage d’un jeune tiré d’une vaste consultation menée en 2016 et adapté dans le cadre d’un projet de théâtre-forum.
[2] Citation recueillie en 2019 à l’occasion d’un appel à témoignages sur le thème, entre autres, du TDAH.